Interview avec Mr Judicael Alladatin

Le mouvement de science ouverte vu par Judicael Alladatin

Aujourd’hui, l’Open Science Blog à le grand honneur de recevoir Judicaël Alladatin autour d’un sujet passionnant qu’est la science ouverte. Suivez nous tout au long de cette enrichissante entrevue.

Open Science Blog :  Bonjour monsieur Judicaël. Merci d’accepter de faire cette interview pour l’Open Science Blog. L’Open Science Blog est une plateforme qui a été créée pour faire la promotion de la science ouverte -vue comme une alternative au développement local durable- à travers ses différents outils.

Pour commencer, pouvez-vous vous présenter brièvement aux lecteurs de l’Open Science Blog ?

Judicaël: On m’appelle Judicaël Alladatin, je suis agro-économiste et socio-démographe. Aussi, je fais partie d’un mouvement de promotion de la science ouverte, et je suis enseignant-chercheur à l’Université de Parakou, à l’Ecole Nationale de la Statistique, de la Planification et de la Démographie.

Open Science Blog: Monsieur Judicaël, quelle est votre définition de la science ouverte?

Judicaël: La science ouverte est, par opposition à une science fermée, une peu comme son nom l’indique, ouverte, mais pas seulement. Il y a plusieurs caractéristiques qui permettent de reconnaître une science qui est effectivement ouverte.

D’abord, il s’agit d’une science qui permet de développer le plein potentiel des étudiants et des chercheurs, mais aussi, de faire contribuer à l’avancée de la science, des personnes qui ne sont pas traditionnellement reconnus comme étant du monde de la recherche. Il s’agit par exemple des paysans, qui ont des savoir-faire qu’on appelle des savoirs locaux. Et donc, dans une science ouverte, on ouvre les vannes vers ce genre de personne là afin qu’elles puissent aussi contribuer à l’avancée des connaissances.

La science ouverte, c’est aussi une science qui est partagée, qui n’est pas fermée à des individus, une science dans laquelle on n’a pas on n’a pas besoin d’être obligatoirement dans certains réseaux pour travailler. Donc, cette science, on la partage ; ce qui induit une certaine nécessité de l’internet pour pouvoir la divulguer à travers le monde, à travers toutes les couches. C’est aussi une science qui s’intéresse beaucoup plus aux problématiques qui sont rencontrées dans la zone où elles se développent.

Et donc, ce n’est pas des problématiques venues d’ailleurs ou qui sont inventées qu’on traite dans cette science-là. C’est en définitive une science qui permet réellement de répondre aux besoins de développement local dans le milieu où le chercheur ou la personne qui fait des travaux pour cette science se trouve.

Open Science Blog: Alors, comment est-ce que vous êtes arrivés à vous intéresser à ce concept de science ouverte ? Qu’est ce qui a été à la base de votre motivation ?

Judicaël: Ma motivation est en fait reliée à plusieurs choses. La première, c’est que j’ai beaucoup travaillé en agro-économie, il y a eu des résultats de recherche, et j’ai fait deux constats.

Le premier c’est qu’on va parfois sur le terrain pour faire certains travaux, et on constate malheureusement qu’il n’y a pas une forte désirabilité sociale. Ce qui signifie simplement que ce travail de recherche ne rencontre en réalité pas les problèmes qu’ont les individus dans le milieu dans lequel il a été effectué, mais que c’est plutôt suite à un financement ou suite à un intérêt particulier que cette recherche est faite.

Le second constat est que des recherches ont été effectuées, mais dont les résultats n’ont jamais servi à résoudre les problématiques par rapport auxquelles elles ont été effectuées.

Ces deux constats me mettent un peu mal alaise, car de cette manière, rien n’évoluera jamais ! Donc, résultats des recherches non appliqués, travaux de recherche non fondés sur les besoins de la population.

L’autre chose à la base de ma motivation est que j’ai fait le constat que dans d’autres pays, dans les pays sous-développés, on enseigne dans les cours l’utilisation de plusieurs logiciels, mais ces logiciels sont en majorité payants, logiciels que les étudiants ou même les écoles ou universités ne peuvent souvent pas s’acheter. Et on se contente donc de versions obsolètes qui ne sont pas actualisées, ce qui cause effectivement un problème. Alors que dans le même temps, il y a des logiciels libres, qui sont des outils de la science ouverte et qu’in aurait pu enseigner de façon parallèle et permettre que pour la réalisation d’une même tâche, si on ne dispose pas d’un logiciel payant, on puisse aller vers le logiciel libre correspondant.

Ça fait donc plusieurs constats qui ont été vraiment à la base de mon intérêt pour la science ouverte. J’ai donc essayé de m’y intéresser de plus près, d’abord au projet SOHA, dont l’un des objectifs était de faire des formations sur les logiciels libres. J’ai donc intégré ce réseau, et je suis devenu plus tard co-chercheur du projet SOHA.

Open Science Blog: En parlant de recherches effectuées, mais dont les résultats ne sont pas utilisés pour résoudre des problématiques, est ce qu’il y a de ces exemples dans notre pays ?

Judicaël:Oui, absolument. Entre 2008 et 2009, j’ai participé à un projet au niveau de l’INRAB, l’Institut National de Recherche Agricole du Bénin, où ensemble avec un autre chercheur, des méthodes ont été établies afin de transformer les fruits de l’anacarde en alcool ; de l’alcool à usage médical et de l’alcool de consommation. La démarche de production a été mise en place, on est allé jusqu’à faire des tests à la DANA. Le projet a été certifié et on a fait des tests économiques pour voir ce que cela pouvait rapporter à la filière cajou.

Mais, jusqu’à ce jour, dans nos champs, les fruits de l’anacarde sont jetés, et n’ont aucune valeur, alors qu’ils pourraient être valorisés. C’est vraiment un exemple palpable de ce type de recherche là. Et même, dans mes souvenirs, lorsqu’on menait cette recherche, les producteurs étaient très intéressés. Ils ont même mis à notre disposition, dans la zone de Kokoro et de Ouèssè un espace, afin de pouvoir installer une unité de production, puisqu’ils pourraient ainsi vendre les fruits qu’ils jetaient d’habitude. Ce projet n’a jamais eu de suite.

Open Science Blog: Nous constatons que pour les pays en voie de développement comme le nôtre, il y a déjà des universitaires, des chercheurs qui mettent leurs compétences et connaissances au service du bien-être de la population. A votre avis, comment la science ouverte peut-elle réellement aider au développement durable de ces pays-là ?

Judicaël: Ce qui est central, c’est de premièrement transformer les universités ; il y a un besoin de réinvention totale de nos universités, car c’est la manière dont fonctionne nos universités qui est à la base du fait que les résultats des recherches ne sont pas exploités et du fait que les projets de recherche ne sont souvent pas arrimés aux besoins des populations. Pour résoudre ce problème, il faut de réinventer l’université à travers plusieurs actions.

Premièrement, il est important de démystifier l’université, car l’université est vue dans notre pays comme un univers inatteignable. C’est dans ce souci que d’ailleurs que le nom en langue Fon-gbé de l’université a été emprunté pour dénommer la boutique des sciences du Bénin : on l’a donc appelé ‘’Alavotodji’’. En effet, quand l’université est appelée dans cette langue ‘’Kplon Idji Alavↄ’’, cela pousse à croire que seules les personnes qui ont fait de longues étude qui ont accès à cette institution.

Mais, la science ouverte dit non à cette conception, elle considère l’université comme appartenant à tout le peuple. La démystification de l’université doit permettre de l’ouvrir à tout le monde, d’en faire un lieu où on partage la connaissance, où on discute de développement, plutôt qu’un lieu où on distribue tout simplement des diplômes.

Seconde chose, c’est qu’il faut qu’on installe des dispositifs qui permettent aux universités d’être directement inter reliés avec la population locale. Un des dispositifs possibles est, comme je l’ai dit tantôt, la boutique des sciences. C’est un dispositif qui permet d’interconnecter la population locale, les étudiants et les universités, tout cela, autour des problématiques du développement local.

Ce qu’on peut aussi faire, c’est la promotion, l’empowerment des étudiants; c’est eux qui vont plus réaliser des travaux qui concernent le développement local. Il faut déjà leur démontrer qu’ils en sont capables, car on est encore dans un système où l’étudiant est considéré comme ignorant à qui on enseigne tout. Il faut donc changer cette donne là et donner toutes les capacités à l’étudiant, afin qu’il soit à même d’inventer, d’être en relation avec le milieu local.

De plus, il faut également s’assurer que les travaux réalisés dans les universités soient arrimés avec les politiques au niveau national. C’est de cette manière qu’on s’assure que les résultats de recherche vont être exploités.

Dernière chose, c’est qu’il faut vraiment faire la promotion de la recherche-action participative. C’est une recherche dans laquelle, en même temps qu’on essaie de comprendre un phénomène, on met en place un dispositif pour régler le problème concerné. Il faut évidemment pour cela que les pouvoirs publics prennent quand même conscience de l’importance de la recherche pour le développement; cela afin d’apporter plus de moyens, plus de compétences, de ressources humaines aux projets.

Je prends l’exemple d’un certain nombre de laboratoires de recherche à l’Université d’Abomey-Calavi qui ne sont pas dotés de personnel, de ressources humaines en dehors des enseignants. Cela bloque un peu la capacité d’agir de ces unités de recherche là.

Open Science Blog: Alors, quand vous parlez de réinventer les universités, de les démystifier, cela restera le commun des phrases abstraites. Dans notre contexte, à l’Université de Parakou, quelles sont les actions concrètes que vous proposez dans le but de démystifier l’université ?

Judicaël: Je commence par donner l’exemple des colloques qui sont très souvent organisés sur des sujets comme la recherche sur le développement local où sont invités des enseignants, des chercheurs, des travailleurs d’institutions de recherche internationales.

Ces colloques sont vraiment une bonne manière de mystifier encore plus l’université. A ces genres de colloque, on doit retrouver les paysans qui font de la recherche tous les jours ; il faut donc intégrer ces acteurs dans les cercles de discussion, afin qu’ils partagent leurs expériences. C’est en les invitant à ce genre d’événement que ces acteurs pourront s’adresser directement à l’université s’ils ont plus tard des problématiques !

L’autre moyen de démystification des universités, c’est véritablement les boutiques des sciences dont la mise en place permet aux populations de poser leurs problèmes de développement à l’université. Et dès qu’un enseignant accepter d’intégrer ces problématiques dans ses priorités d’enseignement et de recherche, le lien se fait directement entre la population et le milieu universitaire.

Une autre action, réalisée dans certaines universités, est de créer des ‘’classes du soir’’ où les personnes ne remplissant pas les critères académiques pour intégrer l’université peuvent venir se faire former dans certains domaines, comme par exemple la gestion d’une entreprise privée.

A travers ces enseignements qui sont ouverts au public, on montre que l’université n’est pas un cercle qui est seulement réservé à des personnes ayant au moins le baccalauréat.

Open Science Blog: Pour finir, quel appel pouvez-vous lancer à la jeune génération de chercheurs et d’étudiants qui s’intéressent à la science ouverte comme moyen de développement local ?

Judicaël: S’il y a un appel que je peux les lancer, c’est de ne pas avoir peur de rentrer dans les réseaux, de demander à devenir membre de ces réseaux comme l’APSOHA . Nos jeunes doivent également participer aux activités, s’informer sur la science ouverte, mais aussi et surtout, prendre des initiatives. C’est cet appel que je peux lancer à cette jeune génération, qui a parfois tendance à attendre qu’on lui recommande telle ou telle action. Il faut inventer, prendre des initiatives.

Open Science Blog: Merci beaucoup Mr Judicaël pour le temps accordé et pour toutes ces informations.

Judicaël: C’est moi qui vous remercie.